Une pour toutes by Jean-Laurent Del Socorro

Une pour toutes by Jean-Laurent Del Socorro

Auteur:Jean-Laurent Del Socorro [Del Socorro, Jean-Laurent]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman historique, Biographie romancée, Féminisme, Littérature française
Éditeur: École des loisirs
Publié: 2021-01-05T00:00:00+00:00


SCÈNE 4

Poitiers, novembre 1689

L’annonce de la guerre avec l’Espagne se répand jusqu’aux tables des Armes de France. Les clients s’inquiètent, s’offusquent, débattent, se querellent puis trinquent finalement pour se rassurer. Mon maître de chant est sobre quand il donne ses cours. Le reste du temps, il commande pichet sur pichet, jusqu’à ce que le sommeil vienne à bout de lui.

– Boire pour oublier, je le comprends, Maréchal. Mais à ce point, c’est vouloir se suicider.

– Pourquoi pas ? À qui manquerai-je quand je ne serai plus là ?

– À moi.

Ses yeux retrouvent un instant leur éclat. Il m’offre un sourire aussi amer que les regrets qui le rongent.

– Julie, pourquoi ne vous ai-je pas rencontrée plus tôt ?

– Il est encore temps d’arrêter.

Je sens Maréchal hésiter. Puis sa main répète le geste trop de fois accompli de saisir le verre et de le vider. Mon cœur se serre quand il détourne de moi son regard embué de larmes.

Maréchal perd de plus en plus ses mots et la cohérence de ses phrases. Je le regarde, impuissante, glisser dans la déchéance. Il y sombre d’autant plus vite que le Diable n’hésite pas à lui offrir à boire.

– Vous tuez Maréchal, Méphisto.

– Encore une fois, Julie, il y arrive très bien tout seul. Ce n’est pas moi qui suis responsable de son agonie.

– Alors qui ? Le malheur qui l’a frappé, et dont il ne s’est jamais remis ?

– La vie, tout simplement, Julie. Pour certains et certaines, elle est trop lourde à porter, surtout quand elle recouvre trop tôt vos épaules du manteau du deuil.

Le voir décliner de jour en jour m’est insupportable. Je ne veux pourtant pas l’abandonner.

– Arrêtez de vous accabler ainsi, Maréchal. Si vous ne le faites pas pour vous, alors faites-le pour moi.

– Il est trop tard, Julie.

J’essaye de l’empêcher de boire, mais sa main me repousse avec une violence inédite. Il a perdu le contrôle de lui-même, et moi, le combat pour tenter de le sauver de sa propre destruction.

Après le désir avec Angélique, j’apprends la mort dans les yeux de Maréchal. Je sais à présent qu’elle est inévitable, non pas parce qu’elle est écrite, mais parce que mon maître de chant l’a lui-même décidé. Je ne peux plus rien y changer. Reconnaître mon impuissance me broie le ventre.

Je fais alors en sorte de ne plus croiser Maréchal que pour nos cours. Je renonce à participer aux soirées autrement que pour venir y chanter. Sitôt ma leçon terminée, je l’abandonne à sa bouteille pour aller retrouver ma rapière. Maréchal plonge au fond de son verre, et moi la lame en avant pour percer un adversaire imaginaire. Nous traçons ainsi, chacun à notre façon, notre chemin vers l’oubli : lui dans l’alcool, et moi dans le fer.

Je fais des progrès de plus en plus notables en chant. Même si j’ai travaillé avec assiduité, je sais pertinemment que c’est à Maréchal que je les dois. Puis, au premier jour de décembre, il m’annonce que nos cours touchent à leur fin.



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